Le chien crée du lien

PARIS – Lumie est mort le 6 février, mettant brutalement un terme à une relation étroite de trois ans avec l’auteur de ces chroniques. Trois années au cours  desquelles le novice que j’étais en la matière a découvert cette amitié si particulière pouvant lier un homme à un chien. Trois années qui m’ont aussi permis de lier connaissance avec les propriétaires de chiens, des promeneurs et promeneuses de tous âges avec lesquelles le contact se noue la plupart du temps avec une étonnante spontanéité dans une ville comme Paris où prévaut plutôt la méfiance envers l’inconnu.

J’ai aussi souvent croisé d’anciens propriétaires de chien qui n’hésitaient pas à s’épancher, à raconter le chagrin qu’ils avaient eu lors de la disparition de leur compagnon – une grande tristesse que, bien souvent, ils ressentaient toujours bien longtemps après. Certains, certaines n’avaient pas « fait leur deuil », selon l’expression consacrée. Ils, elles avaient les larmes aux yeux en me parlant de leur animal disparu, surtout lorsqu’il ressemblait au mien.

Il fut un temps où il était de bon ton de rallier « les mémères et leur chien-chien ». En parlant avec tous ces gens en laisse, on réalise le rôle irremplaçable de ce compagnon pour ces femmes et ces hommes esseulés. Une fois, une jeune femme de mon quartier, m’a dit « c’est mon bébé » en parlant de Pim, un beau bâtard de berger allemand censé avoir été renifleur à la brigade des stupéfiants.

Bien souvent, votre interlocuteur vantera la fidélité absolue de son compagnon dont seraient bien incapables la plupart des humains. On vous louera aussi son intelligence, sa capacité à comprendre un très grand nombre de choses sans truchement. Beaucoup passe en effet par le regard, beaucoup passe par une capacité impressionnante d’observation de vos faits et gestes, jusqu’aux plus banals.

Tout cela, je l’ai effectivement constaté chez « Loulou », petit spitz blanc né en Pennsylvanie il y a cinq ans, rapporté de New York dans mes bagages en 2008. Sa première maîtresse, une jeune Taïwanaise qui apprenait le français, lui avait donné son nom – prononcé « Loumi« -, diminutif de son invention à partir du mot « lumière« . « Ce sera un ange chien« , m’a écrit ma fille en apprenant la nouvelle de son décès dû à une affection incurable.

Ces confidences et ces considérations canines peuvent sembler bien dérisoires à l’heure où le pouvoir syrien continue de massacrer une population insurgée qui n’en peut plus de décennies de tyrannie, où des Tibétains s’immolent par le feu en résistance à la brutalité coloniale de Pékin et où des miséreux meurent tous les jours de froid en Europe, tandis que le peuple grec s’enfonce dans la pauvreté. C’est un bien grand chagrin pour un si petit chien, un petit rien du tout me direz-vous. Il est certes des chagrins bien plus grands. Ils n’effacent pas celui-ci pour autant.

Lumie 2006 -2012

 

9 commentaires sur “Le chien crée du lien

  1. Lumie l’américain qui au début ne comprenait rien
    Lumie le loulou blanc qui trottinait petites pattes en avant
    Lumie le parisien dans son panier sur un vélo
    Lumie qui n’a rien dit pendant très longtemps
    Lumie qui avait même séduit Hélène
    Lumie ton copain adopté, chouchouté qui te suivait partout
    Alors ce n’est qu’un chien comme on dit mais c’était ton chien et cela doit faire mal de vivre cette absence. Martin et moi on t’embrasse

    J’aime

  2. Moi qui reviens à Paris vendredi! Oh tristesse, mon week-end en sera imprégné… Je pense fort à vous et oui, un ange chien, j’aime ça! ON se voit bientôt xx

    J’aime

  3. Puisse Lumie gambader joyeusement au paradis des chiens, ombragé par les arbres à saucisses, accompagnée par une Angèle à son goût et liant amitié, qui sait, avec le défunt Bobby, l’emblême d’Edimbourg, qui vécu 14 ans sur la tombe de son maître, nourri par les gens du quartier et toujours honoré par une statue et d’innombrables statuettes. Lumie, au moins, aura eu la chance de voyager, et ce n’est pas le cimetière des greyfriars qu’il hantera mais les Buttes-Chaumont, l’un des endroits les plus gais de paris.

    J’aime

  4. Un emprunt chez VIcotor Hugo :  » Le chien, c’est la vertu qui, ne pouvant se faire homme, s’est faite bête. »
    Là, tout est dit. Et c’est un démenti à qui qualifierait de  » dérisoires  » ces confidences et ces considérations canines partagées en hommage à Lumie venu des USA et maintenant parti au « paradis des chiens « …
    Quand on voit la manière dont certains humains (!?) traitent leurs semblables… Homo homini lupus !
    À part ça, non, il n’ a pas de petits chagrins : le chagrin ne peut se mesure qu’à l’aune du degré d’attachement à ce qui inspire ce sentiment dont Stendhal affirmait, en substance, qu’au mieux on s’en distrait, car  » on ne se console pas des chagrins « .

    Amitiés,
    Étienne

    J’aime

  5. L’auteur vous remercie du fond du cœur pour ces messages de sympathie ainsi que pour tous ceux qui lui sont parvenus directement par courriel et auxquels il n’a pas répondu, du moins pas encore. « Un deuil pour un animal reste un deuil« , m’a dit un ami au téléphone.

    J’aime

  6. La mort est injuste et inacceptable mais elle n’efface pas ce qui a été. Reste le souvenir de ce lien mystérieux qui uni l’humain et l’animal, de cette communication à la fois muette et bavarde qui passe surtout par le regard et permet un échange affectueux qui ressemble fort à de l’amour. Lumi a certainement été très heureux de pouvoir avoir un tel échange.

    J’aime

Laisser un commentaire