PARIS – « Il y a dans le génie de la langue française un purisme profond et un dédain pour l’erreur, ainsi qu’un dédain pour l’étranger. » C’est l’écrivain américain George Steiner qui parle. Il était invité de France Culture un soir de cette semaine. Ce mépris, cette sorte de xénophobie linguistique française, mettait-il en garde, a un prix élevé. Il a ensuite développé son assertion en brodant à partir de l’anecdote qui suit.
On expliquait un jour à Paul Valéry qu’il était possible d’apprendre les bases de l’anglais en une vingtaine d’heures. « En vingt mille heures, on ne peux pas apprendre le français », aurait rétorqué l’auteur des Cahiers.
Commentaire de Steiner : « C’est très beau et c’est très dangereux. La retraite de la langue française dans le monde entier, le rétrécissement, a des rapports compliqués, à la fois très beaux et assez ambigus à la difficulté du français devant celui qui voudrait pratiquer cette langue sans la perfectionner. Bien sûr, si on est Valéry, on a le droit de dire ça.
Mais, dans le monde moderne, l’anglo-américain l’emporte non pas pour des raisons économiques, politiques, qui sont importantes, mais parce qu’il y a dans la langue anglo-américaine un certain contrat avec l’espoir. Ca ne s’explique pas facilement, mais l’escalateur, le tapis roulant va vers le haut. Celui qui apprend l’anglo-américain a très vite l’impression que ça ira un peu mieux demain. Il y a là de l’illusion mais il y a une Californie de la langue, une espèce de rêve de l’Eldorado à l’intérieur de l’anglo-américain. Dans certaines autres grandes langues européennes, en ce moment, c’est plutôt le coucher du soleil. »
(photo Jacques Baudrier)